AUDERVILLE (50) – La route des talus fleuris

Synthèse

  Trajet : BRUÈRE-ALLICHAMPS (18) / AUDERVILLE (50)

  Départements traversés :

18 - Cher
36 - Indre
41 - Loir et Cher
72 - Sarthe
61 - Orne
14 - Calvados
50 - Manche

  Participant(s) :

MEVEL Michel (Abandon chute au km 189)
GAUTHIER Gérard

  Dates : Du 23/02/2021 au 27/02/2021

  Dénivelée : 6569 m

  Distance : 606 km

   Étapes
1ST-AMAND MONTROND (18) - BLOIS (41)153 km1149 m
2BLOIS (41) - DAMIGNY (61)159 km1284 m
3DAMIGNY (61) - BAUDRÉ (50)144 km2122 m
4BAUDRÉ '50) - AUDERVILLE (50) -CHERBOURG (50)150 km2014 m

Ce récit est une reprise adaptée des publications quotidiennes sur mon blog à l’issue de chaque étape

 23 Février : ST-AMAND-MONTROND (18) / BLOIS (41) – « En route vers le Cotentin »

Départ officiel des Centrionales : Bruères-Allichamps (18)

 

Après un petit galop d’échauffement hier après-midi entre Bourges et Saint-Amand-Montrond, nous avons débuté ce matin avec Michel Mevel, compagnon de route de plusieurs balades au long cours, une nouvelle Centrionale vers Auderville (Manche)

 

 

Abbaye de Massay (36) – km 62

Cette étape assez peu accidentée (1150 m de dénivelée sur 153 km) n’a pas présenté de réelles difficultés. Après avoir remonté en début de parcours la vallée du Cher, partie la plus chahutée de la journée, nous avons traversé les terres de grandes cultures en bordure de la Champagne berrichonne, relativement plates, avant d’atteindre la plaine solognote.

La douceur exceptionnelle pour cette période de l’année et le vent souvent favorable ont facilité notre progression. Par endroit, nous avons pu voir quelques arbres en fleurs et les premières jonquilles.

Michel Mevel et nos 2 accompagnateurs
Michel Mevel et nos 2 accompagnateurs en Sologne
Manoir des Broteaux – Monts-près-Chambord (41)

Pour que la journée soit encore plus agréable, Alain Severin (grand randonneur que beaucoup connaissent) est venu avec un ami nous cueillir aux alentours de midi à Villefranche-sur-Cher (41), au centième kilomètre de notre étape journalière. Comme nous disposions d’une avance confortable par rapport à notre tableau de marche, nous n’avons pas hésité à faire un petit détour à Mont-près-Chambord (41) pour une séance de « requinquage  houblonnée » chez l’ami Alain.

 

Jean-François & Alain

 

Et comme notre accompagnateur a quelques égards pour ceux qui alimentent nos caisses de retraite, Alain a proposé de nous guider sur un crochet vers le cabinet d’un autre grand randonneur, Jean-François Brosseau à Blois (41) pour lui témoigner notre amitié.

 

 

Arrivés à Blois, le couvre-feu imposé par les conditions sanitaires excluant tout repas au restaurant, nous voilà donc contraints à jouer à la dînette dans notre gîte, seule solution pour « recharger les accus » avant de reprendre la route du lendemain.

Bien que sur notre prochaine étape, la distance et la dénivelée soient sensiblement équivalentes à celles d’aujourd’hui, par précaution nous mitonnons un repas très copieux. Avec les calories emmagasinées, nous pourrions enchaîner demain l’ascension du Lautaret, du Galibier et du Télégraphe sans autre besoin de ravitaillement.

24 Février : BLOIS (41) / DAMIGNY (61) – « La gamelle Vendômoise »

La journée a débuté sur des routes connues, habituellement parcourues de nuit lors de la traditionnelle « Randonnée du solstice ». La lumière diurne nous a permis de voir qu’il n’y avait pas grand-chose à voir ! La seule raison motivant cette balade hivernale dans la nuit glaciale tient surtout aux retrouvailles entre cyclos dans la chaude ambiance de la cave troglodyte dite « Auberge du solstice » chez Jean-Pierre à Naveil (41).

En arrivant sur Vendôme (41), Michel a la malencontreuse idée de vérifier sur son GPS notre avance par rapport à la feuille de route alors que nous amorçons une descente. La rencontre avec une bordure en granit massif et véritable l’arrête net. Souffrant de contusions à la hanche et à l’épaule, il constate avec dépit les dégâts : roue avant complètement voilée et jante fendue.

Tant bien que mal, nous nous replions sur la gare de Vendôme avec l’espoir de rapatrier l’homme et sa monture. Dans l’impossibilité de régler son retour par train, je sollicite l’aide de Bernard Haie, un ami Ucetiste et collègue qui n’a pas pu se joindre à l’équipe de cette Centrionale. Bernard vient chercher Michel et le ramène à la maison Gauthier à Tours. Sa voiture étant garée chez moi, Michel peut rejoindre ses pénates auvergnats dans l’après-midi après s’être restauré en compagnie de mon épouse.

Vous qui espériez découvrir une spécialité locale lorsque j’ai évoqué cette « gamelle vendômoise », devez être aussi déçus que nous. Malheureusement la gamelle se cuisine à beaucoup de sauces : pour ma part j’ai expérimenté entre autres « la gamelle autrichienne », spécialité dégustée contre le pare-brise de la voiture d’Adolf, et plus récemment la « gamelle bretonne » contre une bordure et un mur sur les hauteurs de Becherel lors du dernier Paris/Brest/Paris.

Sachant mon malheureux coéquipier entre de bonnes mains, je reprends la route une fois ces problèmes d’intendance réglés. Après Saint-Calais (72) le parcours dans la campagne sarthoise est plus plaisant, agrémenté par les traversées de villages assez préservés.

Saint-Michel-de-Chavaignes (72) L’église aux 365 saints

 

 

Je suis étonné par l’originalité de ces clochers aux formes travaillées comme celui de Coudrecieux ou de Saint-Michel-de-Chavaignes (72) où j’ai eu la bonne idée de faire la pause méridienne pour ravitailler l’animal. Pendant que je dévore en terrasse face à cette charmante église, un client m’indique que la nef abrite 365 saints.

 

 

 

 

Le supermarché de St-Michel-de-Chavaignes (72)

Dans ce « Bar, épicerie, dépôt de pains, tabac, gaz, presse, jeux, annexe bancaire et agence postale » la patronne m’accueille gentiment. Elle me sert une pression pour faire passer le casse-croûte et un expresso pour accompagner la pâtisserie. Je prie pour que ce genre de commerce perdure. Ils sont l’âme d’un village et un des derniers lieux de vraie convivialité des campagnes.

Lorsque je reprends la route, entre Thorigné et Connéré (72) j’aperçois deux TGV qui se croisent dans une tranchée sabrant les collines. Je ne peux pas m’empêcher de penser que les campagnes aux yeux de certains aménageurs du territoire ne sont plus que des déserts voués à une mort lente, qu’on entrevoit à 300 km/h, en filant entre deux villes.

Un peu plus loin, à deux reprises, les effluves de la chimie agricole dispersées par les rampes de tracteurs libellule viennent relancer ma colère. J’en veux à ces technocrates qui en l’espace de deux générations ont transformé les campagnes et métamorphosé les paysans en agriculteurs esclaves et productivistes au service de l’industrie agroalimentaire. Et dire qu’en venant bouleverser cet équilibre entre l’homme et la nature façonné par des siècles, certains d’entre eux croient faire œuvre de progrès !

Il me semble que pour tous ces décideurs la pratique du vélo serait salutaire ; en pédalant ils découvriraient d’abord à quel point la France est belle, mais aussi à quel point ils l’ont défigurée avec cette débauche de centres commerciaux, d’espaces agricoles démesurés et de lotissements tristement uniformes.

Mettez-vous au vélos, politicards et technocrates de tous poils et vous verrez le résultat de vos actions néfastes…

25 Février : DAMIGNY (61) / BAUDRÉ (50) – « Andouille de course ! »

Journée de plaisir total même si elle s’avère assez exigeante pour les mollets sur un parcours qui, dès le départ, s’annonce très vallonné. La fraîcheur un peu plus marquée que les jours précédents et le vent globalement contraire obligent à tempérer mes ardeurs pour essayer de durer. Certes l’étape du jour est la plus courte de tout le parcours vers la Normandie mais la dénivelée est au rendez-vous. Au final je dois me coltiner 144 km et un peu plus de 2100 m de grimpette. En février, c’est déjà beaucoup pour un presque vieillard.

Environs de Carrouges

Mais en compensation de l’effort, je me régale des ambiances changeantes. C’est d’abord l’aurore qui pointe alors que je m’attaque aux premières vraies côtes à l’orée de la forêt d’Écouves (61), puis les collines noyées dans la lumière vaporeuse du brouillard matinal vers Carrouges (61), et partout les talus constellés de jonquilles, de perce-neiges et parfois même de pâquerettes. Tant d’harmonie fait oublier la rudesse des reliefs gravis sur la petite plaque.

Enfin, en milieu de matinée, le soleil perce laissant découvrir le paysage de bocage des collines de la Suisse normande. Si comme tous les cyclistes, je ne manque jamais d’évoquer les nombreuses montées, il m’arrive comme eux d’oublier de mentionner les descentes au moins aussi nombreuses, aussi longues et pentues que les côtes. Ces glissades rapides ou l’on balance le vélo d’un virage à l’autre sur des routes presque désertes sont autant d’occasion de plaisir de pilotage.

 

Dans cette campagne épargnée, tout me paraît beau jusqu’aux panneaux directionnels.

 

 

Comme je n’ai aucun tabou à propos du cannibalisme, au moment de ravitailler à Condé-sur-Noireau (14), j’opte pour un produit du terroir, en l’occurrence l’andouille. En me servant, le charcutier, un rien malicieux, me remet une carte postale « Andouille de course ». C’est vrai qu’en étant assez peu regardant on pourrait me prendre pour un coureur, même si d’évidence je suis plutôt à ranger dans la catégorie des porteurs d’eau.

Dans l’après-midi, je croise deux champions cyclistes de canton portés par le vent, mais ni l’un ni l’autre ne daignent répondre au salut d’un « sacochard » besogneux progressant péniblement.

En revanche, un peu plus loin, vers Caumont-l’Éventé (14) un autre cycliste, plutôt du genre affûté, vient spontanément m’accompagner un moment. Il modère son allure pour discuter avec moi. Merci camarade, j’ai apprécié ce moment de partage.

Un Gérard …
… et un autre Gérard

Enfin après quelques péripéties dont je vous fais grâce, j’arrive à Baudré (50) dans les environs de Saint-Lô, chez mon hôte, un gendarme fraîchement retraité. Comme il est plutôt sympathique, je me retrouve assez naturellement dans sa cuisine. Et puisqu’il est célibataire pour un soir nous préparons ensemble des pâtes à la carbonara partagées à sa table, histoire de poursuivre la conversation.

26 Février : BAUDRÉ (50) / CHERBOURG (50) – « La route des talus fleuris »

Entre mon hébergement de Baudré, au sud de Saint-Lô et le premier pointage à Periers (50), je dois rouler pendant plus de 30 km dans un brouillard épais, qui humidifie les vêtements et embue les lunettes. La visibilité n’excède pas 50 mètres et la température ne dépasse pas trois degrés. Heureusement le parcours n’emprunte que de petites routes sans circulation. Toutes sont bordées de hauts talus, formant enclos, que surmontent des haies denses. Parfois lorsque le chemin est étroit, les arbustes, lorsqu’ils ne sont pas taillés, forment une voûte créant ainsi un décor un peu irréel estompé par le brouillard.

Petit à petit la lumière du jour naissant éteint cette grisaille et révèle une multitude de petites fleurs jaunes qui percent la mousse revêtant les talus. Les nombreuses côtes jalonnant le parcours me laissent le temps pour la contemplation de ces bords de route caractéristiques à toute la péninsule du Cotentin.

Après la pause de mon second petit-déjeuner à Periers, le soleil finit par se montrer. Il fait enfin disparaître ce brouillard que je craignais devoir persister.

Château de Bricquebec (50)

Après Doville, (km 54) c’en est fini des petits chemins creux. Faute d’avoir trouvé un itinéraire de substitution, je dois rouler sur une route assez fréquentée jusqu’à Bricquebec (km 74) où je me ravitaille un peu avant midi.

 

Pour rejoindre cette petite ville, je me détourne sur une voie verte non revêtue, mais après quelques kilomètres, la raison commande de me rabattre à nouveau sur la route départementale si je ne veux pas risquer de voir un pneu lacéré par les cailloux. Il est vrai que le pneu de secours est reparti dans les bagages de Michel et j’ai oublié de le lui demander lorsque nous avons dû nous séparer à Vendôme.

Il faut encore avaler quelques sérieuses côtes avant de retrouver enfin une route plus tranquille à la sortie de Quettetot (km 78)

Environs de La Hague (50)

Passé La Hague (km 106), l’itinéraire emprunte des détours charmants, toujours bordés de ces talus fleuris où surgissent çà et là des genêts. Tapis en retrait sur les hauteurs, les bâtiments du centre de retraitement des déchets nucléaires viennent un moment briser l’harmonie de ce paysage champêtre.

Puis tout d’un coup en sortie d’une énième côte rude succédant à une rude côte, j’aperçois la mer, d’abord à droite, puis un ou deux kilomètres peu plus loin, à gauche. Je suis certain d’avoir maintenant atteint le bout du monde.

Entre temps, bien que je n’y ai jamais mis les pieds, je lis sur un panneau un nom familier : « Nez de Jobourg ». Ce lieu fait partie de ces endroits mythiques où l’on sait que finit la terre, un lieu identifiable sur n’importe quelque carte et peut-être même depuis l’espace.

Enfin, merveille des merveilles, au sortir d’une descente enserrée entre les collines, je découvre la baie d’Ecalgrain. Il faudrait beaucoup de talent pour en évoquer l’indicible beauté ; le mieux est peut-être d’y venir par une belle après-midi comme aujourd’hui pour la découvrir sous cette douce lumière d’hiver.

Je dois encore affronter une sévère montée, (le GPS hésite entre 16 et 17% !), me balancer sur quelques virages en découvrant de nouvelles vues sur la Manche, avant d’arriver à Auderville. Le village se résume à quelques maisons coquettes en granit ramassées sur les pentes d’une colline.

En pointant ici, je pense au « Coyote », Patrick Plaine, alias « Roule-toujours », l’homme aux 1,75 millions de kilomètres parti maintenant randonner sur les routes de l’éternité. Il a été l’initiateur de ce magnifique challenge des Centrionales et de bien d’autres randonnées. Mettre ses roues dans la trace de ce randonneur de légende, c’est aussi essayer de s’imprégner un peu de l’homme qu’il était. Nos routes ne se sont croisées qu’une seule fois, en 2006 à Camaret-sur-Aigues dans le Vaucluse. Je regrette de ne pas l’avoir abordé mais à l’époque j’ignorais que ses belles idées de randonnées me donneraient un jour l’envie d’y participer.

Finalement le plus bel hommage à rendre à ce cyclotouriste d’exception, c’est d’enfourcher sa monture et de partir sur ses traces à la découverte de la France. Ça monte souvent, c’est parfois assez loin mais ça en vaut toujours la peine !

Au-delà d’Auderville, but déclaré de cette Centrionale, je poursuis jusqu’à Cherbourg en suivant la côte par la route des caps et par quelques détours via des chemins creux bougrement pentus. Quand on aime, on ne compte pas…

Mon seul regret sur cette Centrionale est d’avoir dû par la force des événements rouler en solitaire. Aux dernières nouvelles, Michel est à peu près remis de sa chute, même s’il souffre encore un peu de l’épaule.




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