2016 – Le dernier col

Ce récit, j’aurais souhaité ne jamais l’écrire.

Il relate la disparition en Juin 2016 d’un ami très cher, André POYET, alors que nous randonnions ensemble lors d’un séjour UCT dans la région d’Annecy.

Dès que nous nous sommes rencontrés, la personnalité très affirmée et l’humour d’André m’avaient fait oublier notre écart de génération. Très rapidement nous nous étions liés d’une profonde amitié.

Je ne pouvais pas relater mon parcours de cyclotouriste sans évoquer sa mémoire

 

Ce devait être la plus belle journée de la semaine.

André, rassuré par les prédictions des météorologues a décidé de s’offrir l’ascension de la Forclaz et des vues splendides sur le lac d’Annecy qui l’agrémentent. Certain qu’en aussi bonne compagnie, l’ascension du col pourtant réputé difficile sera un plaisir,  je me propose pour l’accompagner.

Sur la piste cyclable, au nord du lac nous apercevons des enfants qui mettent à l’eau des embarcations d’aviron. Nous posons les vélos pour assister au départ. La monitrice peine à se faire obéir. André, observe les enfants et m’explique que ce sport est une école de rigueur et de persévérance. Pourtant, avec son sens habituel de la dérision, il estime la discipline dans laquelle il a excellé très peu spectaculaire et pas vraiment télégénique : « Tout semble si facile quand l’ensemble rame à l’unisson ! »

Il s’éclipse un moment vers le local ou sont entreposés les  bateaux dont les coques effilées sont dardées comme des flèches, prêtes à caresser les eaux du lac. Il me montre les embarcations et m’en décrit les spécificités : le quatre de pointe avec ou sans barreur, la yole, la yolette et que sais-je encore…

J’ai discrètement expliqué son glorieux passé sportif à la monitrice  Elle évoque avec lui cette époque et lui demande de poser pour une photo avec sa classe sur le pas de départ. Pudiquement, André se retourne un instant, se sentant submergé par l’émotion et conclut simplement en disant tout le bonheur que lui a apporté ce sport. Lorsque la monitrice cite Melbourne, ville où André participa à l’épreuve d’aviron en 1956, une gamine dit y être née !

L’ascension du col se passe en douceur. Piètre grimpeur, je demande à André de ne pas m’humilier. Nous montons chacun à notre rythme, mais la moulinette à Dédé finit quand même par creuser l’écart. Deux kilomètres avant le sommet, 150 mètres nous séparent. André s’arrête sur un belvédère et m’attend. Nous profitons du panorama en enfilade sur le lac en nous fendant de quelques superlatifs qui traduisent notre émerveillement commun.

Debout sur nos montures, nous gravissons en silence les deux derniers kilomètres du col. L’inclinomètre oscille constamment entre onze et douze pour cent.  Arrivés au sommet, je ne pense même pas à le féliciter tant la performance d’André, pourtant âgé de 83 ans, me parait naturelle.

Soudain, un champion surgit en clamant son temps d’ascension : « 59 minutes et 40 secondes ! ». André, très second degré, ironise : « Ça aurait été mieux si vous aviez mis quarante cinq minutes ». Le champion en convient : c’est le temps des meilleurs grimpeurs du tour de France.

Nous devisons ensemble sur cette vanité qui laisse si peu de place à la contemplation. Nous observons un moment les parapentes qui tournoient dans ce décor grandiose.

L’appel du ventre nous fait échouer dans une ferme auberge fort recommandable. Les deux menus proposés nous font hésiter un instant. Pour contenter notre appétit et nos sens nous décidons de commander les deux et de partager. Sans pouvoir le consulter, car il s’est éloigné, je dois choisir seul la cuisson de l’omelette aux champignons. De retour, il m’assure que je ne pouvais pas faire de meilleur choix : une omelette gouteuse se doit d’être baveuse.

Notre repas, du haut de ce nid d’aigle, est presque une communion.

Pendant tout le repas, l’ami Dédé se trouve en face d’une superbe brunette dont le short est plus qu’affriolant. Sans en penser un traitre mot, André, estime qu’avec un centimètre de moins le short friserait l’indécence. Moins chanceux, ou peut être un peu moins bien placé, je n’ai en vis-à-vis qu’une blonde siliconée et pour tout dire plus que quinquagénaire…

Le repas terminé, nous rendons visite aux petits cochons qui grognent dans le pré voisin. André me dit qu’on a tort de croire ces animaux répugnants et constate que s’ils sont parfois sales, c’est peut être que les hommes les vouent à la boue, alors qu’ils peuvent être beaux. J’en conviens.

À peine passé le village Montmin, la nature et le café nous obligent à un arrêt qualifié parfois de  « pause technique ». Au bord d’un torrent, pour conjurer le coté un peu grotesque de cette halte, il s’extasie : « c’est chouette, tu ne trouves pas ! »

Nous repartons, bientôt je le dépasse dans un virage en « S ». À la sortie, je  me retourne mais ne le voyant pas arriver, je rebrousse chemin et découvre André gisant dans l’herbe haute à l’entrée d’un champ.

Il  a cessé de vivre.

Tel le dormeur du val, il est allongé dans un décor bucolique et paisible dominé par des forêts et un cirque de montagnes enneigées .




Une réflexion au sujet de « 2016 – Le dernier col »

  1. Quelle fin pathétique…et subite même dans ton récit. Que ton compagnon repose en paix et que tu puisses ne garder que de bons souvenirs même si la gestion de la situation n’a pas du en générer beaucoup.

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