SAINT-LOUIS (68)

Synthèse

  Trajet : VIERZON - ST-AMAND - ST-LOUIS

  Départements traversés :

18 – Cher
03 – Allier
58 – Nièvre
71 – Saône & Loire
21 – Côte-d’Or
39 – Jura
25 – Doubs
90 – Territoire de Belfort
68 – Haut-Rhin

  Participant(s) :

Randonnée en solitaire

  Dates : Du 23/09/2021 au 27/09/2021

  Dénivelée : 5881 m

  Distance : 608 km

   Étapes
1VIERZON (18) - ST-AMAND-MONTROND (18)74 km503 m
2ST-AMAND-MONTROND (18) - ST-HONORÉ-LES-BAINS (58)125 km818 m
3ST-HONORÉ-LES-BAINS (58) - NUITS-ST-GEORGES (21)127 km1804 m
4NUITS-ST-GEORGES (21) - BAUME-LES-DAMES144 km1170 m
5BAUME-LES-DAMES - ST-LOUIS138 km1586 m

Ce texte est une reprise d’une publication sur les réseaux sociaux au cours de la randonnée.

1er jour –  ST-AMAND-MONTROND (18) / ST-HONORÉ-LES-BAINS (58)        125 km – 818 m

Cette nouvelle escapade vers l’Alsace et Saint-Louis (68) dans la zone des trois frontières (Allemagne, Suisse et France) a débuté hier par un petit prologue de 74 km entre Vierzon (18) et Saint-Amand-Montrond (18), véritable départ de cette sixième Centrionale. Avec des conditions idéales, cette mini étape m’a permis d’être complétement rassuré sur mon aptitude à repartir en longue randonnée après une chute assez grave survenue fin août. Cette « gamelle », aggravée de surcroît par quelques problèmes de santé momentanés, m’avait complétement laminé, et privé de vélo pendant plus de trois semaines.

Cette entrée en matière ressemble fort à un discours de « Tamalou », contraint par l’âge à refréner ses ambitions pour pouvoir continuer à vivre sa passion. Pour une fois raisonnable, j’ai préféré par prudence découper en quatre étapes cette randonnée initialement prévue en trois jours.

▲       LE VEURDRE (03) – L’Allier sans lequel la Loire ne serait qu’un fleuve de sable

Celle d’aujourd’hui, avec un profil très calme, des routes tranquilles et une météo idéale, ne présente aucune difficulté. Le parcours, sans curiosité notable au travers des belles forêts de l’Allier puis le long du canal du Nivernais, est pourtant très agréable.

À peine occupé par la contemplation d’un paysage rarement renouvelé, mes pensées s’égarent en se fixant parfois sur des détails presque insignifiants : Dans la petite cité médiévale d’Ainay-le-Château (03), je m’attarde un moment devant un monument aux morts, pourtant semblable à des milliers d’autres avec son poilu vigilant scrutant l’horizon depuis un siècle, les mains posées sur son fusil Lebel, bien décidé à ne pas les laisser passer. Comme ailleurs, les quatre obus pointés vers le ciel n’évoquent que le mauvais goût guerrier des concepteurs de ce monument. Mais un détail finit par attirer mon attention : une plaque, aujourd’hui rouillée, où les villageois ont tenu à représenter les victimes sacrifiées. Les photos émaillées des soldats tombés au front, les noms, leur âge, les dates de leur mort, illustrent d’un coup l’ampleur du drame vécu dans ces campagnes où tous se connaissaient. Bien plus que ces listes de noms gravés dans la pierre, leurs visages d’un autre temps, même à demi effacés racontent l’horreur de cette guerre et la fuite du temps qui inexorablement engendre l’oubli.

Demain, le parcours sur les reliefs du Morvan et les côtes du vignoble bourguignon sera plus relevé. Aussi, je vous abandonne pour prendre un temps de repos suffisant pour me régénérer, car les papys sont un peu comme les bébés : entre deux tétées ils roupillent.

 

2ème jour –  ST-HONORÉ-LES-BAINS (58) / NUITS-ST-GEORGES (21)     127 km – 1804 m

Le bocage morvandiau vers ST-LÉGER-SOUS-BEUVRAY (71)

Randonner dans le Morvan au lever du jour est d’abord un plaisir, bien qu’il oblige à appuyer fort sur les pédales, mais c’est aussi l’assurance de vivre un moment de sérénité, tant il est rare de goûter à pareil silence. Progresser sur ces routes aux sinuosités harmonieuses et découvrir à chaque virage une nouvelle vue sur cette campagne de douces collines aux reliefs soulignés par des haies, voilà une bonne raison d’écourter sa nuit. La lumière d’un soleil voilé fait luire les prairies mouillées de rosée où paissent les troupeaux de charolais. Dans les lointains, des traces de brouillard flottent au-dessus d’étangs, de mares ou de ruisseaux à truites. Une belle journée se prépare.

Pendant la tranquille ascension du petit col de la Croix du Rebout (613m), où se niche en pleine forêt le musée de Bibracte (lieu supposé de la capitale des éduens), j’envisage une possible  réincarnation en taureau reproducteur charolais. J’imagine sa vie paisible partagée entre brouter l’herbe grasse des pâtures et la contemplation des collines environnantes, en attendant d’être choyé, étrillé, exhibé, admiré et avec de temps à autre la mission qui leur vaut autant d’attentions…Mais dans la descente, je réalise que fatalement viendra le jour où l’inaptitude à la mission  première condamnera l’heureux animal à la boucherie. Non, finalement mieux vaut ne pas être réincarné en taureau !

Style Rococo à ÉPINAC (71)

Au-delà de St Léger-sous-Beuvray (71), les reliefs s’adoucissent et la descente continue me porte presque sans effort jusqu’à Autun (71). Un peu avant Épinac (71), je croise un couple de cyclotouristes âgés qui avouent être passés depuis cette année à l’assistance électrique. Je les encourage, car malgré le poids des ans, ils ont toujours envie de bouger et c’est finalement l’essentiel.

Entre Épinac et Bligny-sur-Ouche (21) je suis en terrain connu, sur les routes de deux diagonales et de parcours de vacances. Pour s’extraire de la vallée de l’Ouche, les morceaux de choix se succèdent. Pendant un long moment, Gégé Péaisse annonce une pente à deux chiffres avec quelques pointes à 13%. Patience et petits braquets finissent par venir à bout de ces raidards. Arrivé dans les premières vignes, il ne reste plus qu’à se laisser aller pour dévaler un peu plus de 300 mètres de dénivelée vers le final de l’étape.

Nuits-Saint-Georges : sacrilège en terroir bourguignon, je me récompense avec une bonne bière ambrée en prétextant qu’un cycliste se doit d’être sobre. J’ignore si la serveuse du cru m’a cru…

  

3ème jour  NUITS-ST-GEORGES (21) / BAUME-LES-DAMES (25)    144 km –   1170 m

À plusieurs reprises dans la nuit, les grondements du tonnerre me réveillent. J’entends la pluie qui tombe sans discontinuer et peine à retrouver le sommeil. Au réveil, les prévisions sont aussi désespérantes que la veille : les prévisionnistes n’ont pas chômé, et annoncent une probabilité de pluie sur le Jura évaluée à 90%, avec une hauteur précipitée au moins aussi inquiétante. Résigné, je revêts la tenue de scaphandrier, en excluant toutefois les palmes, assez peu pratiques pour pédaler. Lorsque je sors de l’hôtel un peu avant six heures, à ma grande surprise il ne pleut pas encore. Alors, dans la nuit noire, j’appuie vaillamment sur les pédales pour essayer de grappiller quelques minutes et réduire la durée où je devrai rouler sous les averses. Lorsque le jour pointe vers Saint-Jean-de-Losne (21), où nombre de péniches et d’embarcations sont amarrées sur les quais de la Saône, le déluge promis se fait toujours attendre. Joueur, je pressens qu’avec un peu de chance je resterai au sec jusqu’à Dôle (39). Finalement, au pointage d’Orchamps (39) je me décide à débâcher malgré le maintien de prévisions toujours aussi pessimistes. En enlevant l’imperméable censé me protéger de l’humidité extérieure, je constate une fois de plus que cette protection est d’une redoutable efficacité pour tremper mes sous-vêtements de transpiration et les imprégner d’une bonne odeur de fauve.

Sur la route virtuelle – celle qu’on trace dans sa tête après avoir déplié les cartes -, j’avais imaginé des retrouvailles plus enthousiasmantes avec ma terre natale. Aujourd’hui, enveloppé de grisaille, sur les routes souvent plates de la vallée du Doubs que je longe un moment, je trouve cette partie du territoire franc-comtois assez ordinaire. Puis, vers la mi-journée commence une succession des côtes qui marque la bordure du premier plateau du Jura. À la faveur de l’éclaircie qui vient peu à peu, j’aperçois dans les lointains les reliefs bleutés du deuxième plateau où j’ai vécu jusqu’à l’adolescence. Là-bas, c’est autrement plus beau…

À Gennes (25), je m’arrête devant une curieuse mairie-lavoir. L’édifice assez modeste surprend avec son double escalier en fer à cheval qui flanque un des pignons. Je me pose là le temps de calmer une petite faim en avalant trois sandwiches.

Enfin en début d’après-midi le soleil s’installe. Le parcours entre forêts et pâtures ou paissent des montbéliardes, devient plus plaisant, et surtout plus facile. À la sortie de Champlive (25) la route étroite s’engouffre dans un long tunnel qui débouche en haut du versant surplombant le Doubs. Entaillée dans la roche, elle plonge avec une forte déclivité vers un second tunnel, dont le tracé en courbe prononcée me surprend. La descente rapide, qui m’oblige à maîtriser la vitesse, dure encore un peu ; puis la route plus tranquille se faufile entre le Doubs et le pied de la falaise, jusqu’à Baume-les-Dames (25). En soirée, dans cette grosse bourgade complétement déserte ce dimanche, je retrouve avec plaisir Pascale ma cousine bisontine, le temps d’un repas au restaurant.  Nous ne nous sommes pas revus depuis 1977. Entre temps notre jeunesse est devenue un souvenir, mais les plus de quarante années écoulées n’ont pas changé l’éclat bleu de son regard.

 

4ème jour  BAUME-LES-DAMES (25) / ST-LOUIS (68)       138 km – 1586 m

L’ultime étape de cette Centrionale est à l’exact opposé de la précédente : aucune incertitude météorologique, et un parcours très agréable dès le départ.  Aux premières lueurs de l’aube, il débute en remontant la vallée du Cusancin, ruisseau qui tournicote et sautille de pierres en pierres, bordé par une route étroite serpentant dans une forêt de feuillus accrochée sur des versants abrupts.

Au-delà de « la source bleue », attraction touristique locale, la vallée se resserre encore plus, et les falaises ne laissent qu’un étroit passage à une mauvaise route ainsi qu’au lit d’un ruisseau intermittent, qui ne coule qu’à la fonte des neiges, ou lors de longs épisodes pluvieux. 

C’est en effet une des particularités de la Franche-Comté, région où les pluies sont pourtant abondantes : le réseau hydrographique de surface est très peu dense en raison de la nature karstique du terrain. Souvent, les eaux de ruissellement disparaissent dans les profondeurs de la terre, quitte à réapparaître plus loin, l’exemple le plus fameux étant celui de la résurgence de la Loue

Pendant une quinzaine de kilomètres sur ce chemin incertain, je goûte au silence absolu dans des lieux presque imperméables à la lumière. Dans les tréfonds de ce canyon, qui pourrait être né de l’imaginaire d’un conteur d’histoires fantastiques, j’ai l’impression d’être hors du temps. En me laissant aller, je ne serais pas étonné de pouvoir ici converser bientôt avec les escargots, un elfe pour interprète. Sous ces latitudes franc-comtoise, je sais que tout peut advenir…

BELVOIR   (25)

Puis à l’approche de Sancey-le-Long (25), la vallée s’élargit, laissant place à des hameaux qui regroupent quelques fermes typiques avec leurs ponts de grange et leurs impressionnantes toitures abritant autrefois le fourrage, les étables et les paysans.

Plus loin, je dois escalader un beau raidard pour atteindre Belvoir (25), connu pour son petit château posé sur un éperon qui domine les villages alentour. Passé ce lieu, je me laisse glisser sur des pentes noyées dans le brouillard, et arrive sans effort à Pont-de- Roide (25), gros bourg à deux pas de la frontière suisse

Vers Mesliere (25) s’amorce la remontée brutale vers le plateau. Le souvenir de cette côte me revient : nous l’avions déjà gravie avec Jean-Luc à la fin d’une étape difficile de la diagonale Perpignan/Strasbourg. Je m’entends encore annoncer les pourcentages qui ne cessaient d’augmenter sur le GPS au fur et à mesure de notre ascension, jusqu’à atteindre 14%.

J’entre aujourd’hui dans ma soixante-septième année et – parole de Centrionaliste -, même si je dois suer sang et eau pour honorer le contrat, je me dois de ne pas poser pied à terre. Avec un peu de volonté le pari est tenu !

DELLE (90)

À Croix (90), nom prédestiné en la circonstance, je m’amuse d’une promesse d’indulgence gravée au pied d’un crucifix. Elle est censée réduire le séjour au purgatoire ; le « tarif » est clair : cinq ans de remise de peine pour trois « Pater noster ». C’est bien peu au regard de l’éternité, et à bien y réfléchir, effrayé à l’idée de m’ennuyer avec les chérubins et les « plus que parfaits », je m’abstiens de toute patenôtre. Passer l’éternité avec mes semblables me semble être le meilleur compromis pour ne pas trouver le temps trop long. Après Delle (90) et quelques bosses, je pénètre dans le Sundgau, où commencent les villages proprets et les coquettes maisons colorées à colombages. Bien qu’une tour Eiffel se dresse au cœur du village de Waldighofen (68), on ne me trompera pas : je sais que je suis maintenant en Alsace, et qu’en arrivant à Saint-Louis (68) je viens de boucler avec un certain plaisir la quatrième Centrionale de l’année 2021 et la septième du cycle.

KNOERINGUE (68) « Nul ne sait ni le jour, ni l’heure »

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