GIVET (08) – « Cyclos dans la tourmente »

Synthèse

  Trajet : GIVET (08) / BRUÈRE-ALLICHAMPS (18)

  Départements traversés :

Grand Duché du Luxembourg *
Province du Luxembourg (Belgique) *
Province de Namur (Belgique) *
08 - Ardennes
51 - Haute-Marne
89 - Yonne
10 - Aube
58 - Nièvre
18 - Cher
36 - Indre *
41 - Loir et Cher *

* Hors Centrionale

  Participant(s) :

Michel MEVEL (hors Belgique)
Gérard GAUTHIER

  Dates : Du 19/02/2022 au 23/02/2022

  Dénivelée : 7180 m

  Distance : 745 km

   Étapes
1Esch-sur-Alzette (Luxembourg) - Givet (08)142 km1687 m
2Givet (08) - Epernay (51)171 km1835 m
3Epernay (51) - Joigny (89)156 km1474 m
4Joigny (89) - St Just (18)155 km1580 m
5St Just (18) - Villefranche-sur-Cher (41)121 km604 m

Ce texte est adapté de 3 publications parues sur le blog Gegediagonaliste en Février 2022. au cours de la Centrionale  Givet / Bruère Allichamps. Elle a été précédée par une étape dans les Ardennes belges au départ du Luxembourg

 

Esch-sur-Alzette (Luxembourg) / Givet (08)             142 km – 1687 m

Pour cette nouvelle Centrionale hivernale, malgré la froidure annoncée, je suis bien décidé à tenter, en guise de prologue à notre randonnée, une percée des Ardennes.

Avec la même détermination que le général Guderian à la tête de ses divisions de Panzer, mais dépourvu de toute idée belliqueuse et la hargne en moins, je me lance avant le lever du jour à l’assaut des Ardennes belges. Mon plan de bataille est simple, il consiste à rallier Givet (08) en partant de Esch-sur-Alzette (Luxembourg), ville où j’ai été accueilli la veille dans notre proche famille.

Bien que le parcours ne recèle aucune difficulté majeure, je réalise vite que cette traversée des Ardennes belges à vélo sera moins fulgurante que celle des blindés vert de gris fonçant vers les lignes françaises. Le froid pénétrant, accru par un vent le plus souvent latéral soufflant en bourrasques dépassant 50 km/h, vient assez vite tempérer l’ardeur déployée avant l’aube pour avaler les premières bosses des environs de Pétange. Avant même le lever du jour, le fougueux combattant des débuts est maintenant résigné à pédaler mollement. Contempler le paysage moutonnant assez peu renouvelé en essayant de maintenir une sa modeste allure suffit à le contenter.

Je roule déjà depuis plusieurs heures lorsqu’un un cyclo, surgi de l’arrière, me sort de la torpeur qui peu à peu me gagnait. Parvenu à ma hauteur, il engage la conversation. À ses côtés, je retrouve un peu d’énergie. Alors insensiblement, la cadence augmente et s’en m’en rendre compte je suis propulsé à Bertrix (province du Luxembourg belge), lieu où je trouve enfin un café ouvert.

Le patron, un ancien cycliste professionnel dans des équipes italiennes et belges, lucide sur les faibles possibilités de percer dans le milieu des compétiteurs, a opté ici pour une reconversion originale : il gère un « bar – charcuterie » où on trouve aussi diverses spécialités italiennes. L’homme s’intéresse à ma virée hivernale. Je suis flatté. Curieux, il soupèse mon vélo lourdement chargé et apprécie en connaisseur l’effort de traction que je dois fournir. En examinant la monture et l’animal qui la chevauche, il me jauge et reconnaît un « authentique bourrin ». Avant de le quitter, histoire de soutenir le petit commerce et d’alimenter la chaudière, j’achète quelques tranches appétissantes de coppa et de pancetta. Ces spécialités transalpines, plus efficaces à mes yeux que le pot belge, seront la touche méridionale de mon repas de midi. Arrivederci Campione !

Une trentaine de kilomètres plus loin, j’arrive à Gedinne (province de Namur) où les vapeurs d’une friterie viennent briser mon élan. Je succombe à la tentation d’accompagner mon repas avec une bière de trappiste et découvre après l’avoir dégustée qu’elle titre un peu plus de 9 degrés. En associant ces douceurs belges et italiennes assez peu diététiques, la fin du parcours plutôt relevée est nettement plus laborieuse que prévue. Et pour que le plaisir dure, deux crevaisons viennent encore me ralentir juste avant la frontière française. Pas vraiment perturbé par ce contretemps, je finis par atteindre Givet où Michel Mevel, mon compagnon de Centrionale, vient d’arriver par le train.

Ce soir un buffet asiatique vient clore ce méli-mélo de nourriture et de breuvage belgo-italo-chinois. Demain, promis je me mets au régime !

 

 

CENTRIONALE 

De GIVET (08) vers BRUERE-ALLICHAMPS (18)

 

1° étape : Givet (08) / Épernay (51)          171 km – 1835m

Notre randonnée débute en douceur avant l’aube sur une piste cyclable longeant la Meuse pendant une trentaine de kilomètres. Les branches cassées par le vent jonchant la piste nous obligent à redoubler de vigilance pour ne pas faire d’écarts et tomber sur la rive ou pire, dans le fleuve. Un peu avant Haybes, le crachin devient pluie. Pour nous extraire de la vallée de la Meuse, il nous faut gravir une côte assez raide de cinq ou six kilomètres à la sortie de Revin. Tandis que nous nous élevons laborieusement, toujours sous la pluie, nous ressentons de plus en plus les assauts du vent dont la violence ne fera que s’amplifier jusqu’au soir.

La pluie finit par s’arrêter mais peu à peu la perspective d’une journée de galère se confirme ! Bien que nous réduisons au minimum les arrêts, à la mi-journée, le retard est déjà conséquent. 

Sur ces routes de Champagne, dans les interminables lignes droites des environs de Rethel, j’ai la sensation d’être  d’avantage un forçat qu’un cyclotouriste. Nous devons lutter contre un vent soufflant de face entre 35 et 40 km/h en continu et jusqu’à 65/70 km/h en rafales à tel point que lorsque la route tourne un peu, nous devons prendre garde de ne pas être désarçonné par les bourrasques ; À tout prendre, il vaut encore mieux combattre cet ennemi de face. Mais dans ce combat vraiment trop inégal, je n’éprouve aucun plaisir à lutter ! J’ai juste envie d’avancer et d’arriver pour ne plus entendre ce souffle abrutissant. Dans ce paysage à mourir d’ennui, dépourvu de végétation, j’en viens à me demander si l’absence d’arbre n’est pas une volonté délibérée du créateur pour préserver les hommes les plus désespérés. Ils ne trouveraient pas ici une branche où accrocher une corde pour se pendre… 

Les vagues reliefs de ce morne paysage, pas assez marqués pour nous abriter au moins momentanément, sont cependant suffisants pour nous casser les pattes. Bref, la Champagne ne sera pas la destination de mes prochaines vacances, ni des suivantes. Même si en soirée les premiers vrais reliefs du vignoble rendent enfin le paysage et la campagne un peu moins désolants, rien ne me fera changer d’avis, d’autant que je n’ai aucune appétence pour les bulles, fussent-elles aussi pétillantes que celles des plus prestigieux Champagne.

Malgré la très longue descente vers Épernay où nous finissons par arriver après deux heures de route en nocturne,  nos compteurs  affichent à peine 14 km/h. Mais la moyenne ne nous importe guère, nous nous souviendrons surtout d’une journée noire où nous n’avons pris aucun plaisir à pédaler.

 

Après avoir rapporté mon smartphone, le bon samaritain immortalise les naufragés du vent en perdition.

2° étape : Épernay (51) / Joigny (89)         156 km – 1474 m

Cette journée ressemble étrangement à la précédente, mais en pire avec  des rafales annoncées entre 80 et 90 km/h. Aussi, pour éviter de me lamenter sur les déboires de cyclos suffisamment stupides pour se lancer dans une randonnée hivernale dans d’aussi mauvaises conditions, je préfère rester positif et vous parler de la chance qui sourit parfois aux pieds nickelés de notre espèce.

Ce matin, sans doute mal réveillé, j’ai oublié dans la chambre d’hôte le « couteau suisse » du randonneur, en l’occurrence mon téléphone portable. Contrairement à mes habitudes, je n’ai rien imprimé, ni mon pass sanitaire, ni les coordonnées de mes hébergements, ni mon billet de train pour le retour, ni la précieuse carte permettant de bénéficier de prix avantageux consentis par mon transporteur préféré, la S.N.C.F. 

Michel, mon compagnon d’infortune n’a heureusement pas oublié son smartphone. Aussi je peux appeler à la rescousse mon épouse qui avec célérité parvient heureusement à contacter le propriétaire de notre gîte et à expliquer mon embarras. Celui-ci, fort serviable et devinant peut-être mon désarroi, nous contacte sur le portable de Michel et me propose de rapporter le mien à Anglure, à plus de 60 km d’Épernay. Avant midi, « le couteau suisse », outil devenu indispensable au randonneur au long cours, est à nouveau entre mes mains. Bien évidemment, je dédommage et remercie très chaleureusement notre hôte d’Épernay. Grâce à lui, nous pourrons mener à terme cette « randonnée du délire ».  

À la nuit tombée alors que nous arrivons à Joigny, nous croisons par hasard notre hôtesse du jour, ou plutôt du soir. Craignant la fermeture imminente du magasin où nous devons nous ravitailler, elle part sur le champ faire nos courses dans une grande surface éloignée de notre hébergement. Grâce à elle, nous pouvons nous sustenter et reprendre quelques forces dans son gîte douillet.

À notre hôte d’Épernay comme à notre hôtesse de Joigny ainsi qu’à tous ceux qui nous permettent de vivre ces virées insensées, MERCI !

 

3° étape : Joigny (89) / Saint Just (18)                155 km – 1580 m

Saint-Amand-en-Puisaye (89)

Pour ne rien changer, un troisième jour consécutif de vent défavorable, heureusement un peu moins violent qu’hier, est au programme de l’étape. Désormais, nous voilà complètement résignés. Paradoxalement, pour une fois, nous apprécions les reliefs assez marqués entre Joigny et la Loire, franchie à Cosnes. Ce parcours vallonné généralement boisé, nous offre le plus souvent une bonne protection contre la fureur du vent. 

Pendant toute la matinée, nous progressons tranquillement dans cette campagne de l’Yonne autrement plus agréable que les immensités vides et ventées de la plaine champenoise.

Pour commettre un mauvais jeu de mots, je dirais que cette matinée est un vrai parcours de « Plaine », cabossée à souhait et tout en sinuosités charmantes. Les initiés comprennent évidemment l’allusion au regretté Patrick Plaine, grand concocteur de ces parcours pittoresques. En subissant le déchaînement des éléments, je pense souvent à ce cycliste atypique. Par choix de vie, l’ascète qu’était « le Coyote » ignorait le réconfort d’un bon lit, d’une douche chaude et d’un bon repas à l’issue d’une étape difficile. Même si mon ami Michel a souvent randonné « à la dure », nous ne sommes à l’évidence pas du même fait du même bois que ce cycliste hors norme, initiateur des Centrionales.

En début d’après-midi, après avoir gravila côte de Sancerre, il ne reste pour nous contenter que le souvenir des routes plaisantes de la Pusaye, chère à l’écrivaine Colette. Et comme la poisse a décidé de ne pas nous lâcher, nous devons nous résigner à lutter encore pendant quelques heures contre le vent balayant les zones de grande culture en terre berrichonne. Enfin, vers 18 heures, nous arrivons à Saint-Just à l’est de Bourges, chez le gendre et la bru de Michel où nous trouvons une hospitalité chaleureuse et réconfortante.

 

4° étape : Saint Just / Bruère-Allichamps / Villefranche-sur-Cher (41)      121 km – 604 m

Un supporter de choix : le patron du café de Bruère

L’étape « officielle » du jour avec seulement 32 km n’est qu’une formalité. Nous atteignons l’antique borne romaine matérialisant le centre géographique de la France, plantée sur cet insignifiant carrefour de village berrichon.

La Centrionale du vent s’achève officiellement au bistrot voisin selon le rituel sacré par l’apposition du tampon. Dans ce bar, le maître de céans, entre le service d’une bière ou d’un café, s’est pris de passion pour ces drôles de clients aux allures de canaris casqués. De temps à autre, ceux-ci viennent quémander le tampon d’arrivée ou de départ ; alors le patron après avoir officié, échange volontiers avec eux. Pour la petite histoire, ce personnage dévoué à la cause des Centrionalistes a même fait fabriquer un tampon à leur intention. Il dit l’avoir attendu des lustres, et a été très désappointé lorsqu’il a constaté que le fabricant du dit accessoire avait mal orthographié ce lieu pourtant unique, pensant peut-être que « Bruyère » était plus poétique que « Bruère ». Heureusement que l’homme des approximations toponymiques n’était pas sourd, car le lieu mythique aurait tout aussi bien pu devenir « Gruyère ».

 

 

 

Et pour conclure …

La Centrionale est désormais bouclée. Notre satisfaction de l’avoir terminée est grande !  De toutes nos randonnées, elle restera certainement celle où nous aurons connu les pires conditions, à égal niveau du dantesque Paris/Brest/Paris 2007. 

Dire que cette randonnée a été belle ou plaisante serait mentir, mais à terme, je suis certain qu’elle grandira dans mes souvenirs. Peut-être qu’un jour, elle finira par devenir « grande et belle » à nos yeux parce que, l’un comme l’autre, nous avons refusé de renoncer alors que tout se conjuguait pour nous forcer à l’abandon.

Contrairement aux apparences, ni Michel, ni moi, ne sommes masochistes ou avides de prouver un quelconque talent cycliste ; les champions sont d’une autre génération et courent après d’autres objectifs. Alors comment justifier cette détermination à persévérer envers et contre tout ?

Cette obstination dépasse toute vanité mal placée. Elle s’explique par une envie commune de venir « chatouiller » les limites, qu’elles soient physiques ou mentales, lorsque l’imprévu se présente. À ce jeu, les croulants ont gagné, c’est là notre seul titre de gloire !

Si dans ces conditions extrêmes notre équipe a tenu, c’est en grande partie grâce à Michel : jamais il ne m’a reproché de l’avoir malencontreusement entraîné dans cette galère. Jamais, il n’a  manifesté une saute d’humeur lors des incidents et erreurs de parcours toujours possibles même avec trois GPS, surtout lorsque deux d’entre eux sont défaillants.

Contrairement  au caractériel que je peux être lorsque tout va de mal en pis, Michel sait rester placide et imperturbable. Cette force fait de lui un compagnon de route idéal.

 

PS : Michel a poursuivi jusqu’à Cérilly (03) où sa compagne est venue l’attendre. Pour ma part la folle chevauchée s’est terminée à Villefranche-sur-Cher pour un retour par le train, 80 km au au-delà de « Gruyère-Allichamps ». 




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