SAINTES-MARIES-DE-LA-MER (13) – Destination « cyclorgasme »
Trajet : Gipsy / St Amand Montrond - Les Saintes Maries de la Mer / Nîmes
Départements traversés :
63 - Puy de Dôme
43 - Haute Loire
48 - Lozère
34 - Hérault
13 - Bouches du Rhône
30 - Gard (hors Centrionale)
Participant(s) :
GAUTHIER Gérard
Dates : Du 10/10/2022 au 15/10/2022
Dénivelée : 7623 m
Distance : 666 km
Étapes | |||
1 | Gipcy (03) - La Crouzille (63) | 136 km | 1350 m |
2 | La Crouzille (63) - Brioude (63) | 158 km | 2113 m |
3 | Brioude (63) - Le Bleymard (48) | 122 km | 2152 m |
4 | Le Bleymard (48) - Lunel (34) | 146 km | 1748 m |
5 | Lunel (34) - Nîmes (30) | 101 km | 260 m |
NOTA : Ce récit est une compilation adaptée et complétée de 5 publications parues sur mon blog au cours de cette randonnée automnale
Étape 1 : Gipcy (03) / La Crouzille ( 63) 136 km – 1350m
Gipcy, pour peu qu’on ne soit pas trop regardant sur l’orthographe anglaise du mot « gitan » semble le lieu tout indiqué pour débuter notre Centrionale vers Les-Saintes-Maries-de-la-Mer, haut-lieu de pèlerinage pour cette communauté des gens du voyage. C’est sans doute inconsciemment que j’ai proposé de commencer le nôtre à partir de ce village au nom prédisposé, mais surtout en raison de la situation de Gipcy, à mi-chemin entre Saint-Pourçain-sur-Sioule, où réside mon compagnon de randonnée, et Saint-Amand-Montrond (Cher), lieu de départ officiel.
Sur le pas de départ de ce prologue d’une cinquantaine de kilomètres, nous constatons que contrairement à celui du Tour de France, le public n’est pas venu nombreux pour y assister. Pour tout dire, il est totalement absent. Certes, Gipcy dans l’Allier n’a pas la renommée de la capitale danoise et ni l’un, ni l’autre, respectivement âgés de 76 et 68 ans, n’avons le palmarès et la notoriété des champions dont la seule évocation des noms suffit pour déplacer les foules.
Nous nous contenterons donc des seuls encouragements de Jacqueline, compagne et plus grande admiratrice de Michel, levée avant l’aube pour transporter l’équipe infernale sur son aire d’envol. La dévotion témoignée à son cycliste préféré et accessoirement à son coéquipier vaut plus que la ferveur changeante de certains aficionados. En bon coach, habituée à nos étourderies, Jacqueline avant de nous quitter nous dispense quelques recommandations afin que nul téléphone, paire de lunettes ou de gants, nul casque, portefeuille, appareil photo ou carte bancaire ne soit éparpillés sur notre route. En recevant ses conseils, nous ressentons le vécu de cette supportrice apte à beaucoup supporter. Elle a connu tous les déboires du duo et partagé indirectement toutes les mésaventures décrites, sans parler de celles qu’il vaut mieux oublier.
Notre envolée vers les Saintes-Maries-de-la-Mer commence un peu avant l’aurore sous la clarté de la pleine lune. Elle disparait bien vite avalée par un nuage goulu arrivant au moment même où le jour se lève. Nous partons, caressés par un vent léger qui nous pousse sur les vallonnements de la campagne bourbonnaise où paissent des troupeaux. Paisiblement occupés à ruminer ou à regarder passer les deux cyclos, les bovidés broutent l’herbe grasse du bocage, ignorant que leur occupation favorite les rapproche de l’échéance du barbecue. Le souffle de sud-ouest, pour une fois favorable, nous accompagne jusqu’à la forêt de Tronçais, puis a la bonne idée de s’éteindre lorsque nous virons de bord, cap au sud, à partir de Saint-Amand-Montrond.
Sur des routes tranquilles, je remarque quelques coulemelles. D’abord je les dédaigne, mais à force d’être nargué par cette abondance, je finis par arrêter ma monture pour ramasser quelques beaux spécimens. Une vingtaine kilomètres passés à scruter attentivement les accotements et les talus suffisent pour faire enfler démesurément ma sacoche. Lors de la halte méridienne, à Épineuil le Fleuriel, cadre supposé de l’histoire du « Grand Maulnes », j’appelle Catherine, cyclotouriste et mycologue de renom de l’U.C.T. Je lui demande conseil pour la préparation de cette cueillette miraculeuse et lui adresse un texto accompagné d’une photo. Cet échange permet de lever les derniers doutes quant à la comestibilité de ces lépiotes de tout poil et d’écarter les fausses coulemelles ; Catherine m’indique que certaines, pourtant comestibles, peuvent indisposer et obliger les cyclistes que nous sommes à de fréquents arrêts susceptibles de compromettre notre progression.
Lorsque nous arrivons à l’hôtel, les rideaux de la devanture tirés et la porte fermée nous laissent un moment perplexes, car à trente lieues à la ronde on dénombre davantage de volcans que d’habitants. L’hôtel semble fermé. En contournant le bâtiment, je finis par trouver le patron de l’hôtel affairé à la construction d’un abri-vélos. Il semble avoir oublié notre venue. Bien que le restaurant soit fermé, l’homme consent à nous cuisiner une omelette avec nos champignons, dont nous nous régalons avec deux ouvriers pensionnaires arrivés entre-temps. Tout est bien qui finit bien !
Toutefois, si demain je ne publie pas, si vous apprenez que deux ouvriers manquent à l’appel et que deux vélos de randonnée sont en vente sur le bon coin, vous comprendrez qu’une amanite aura été oubliée dans mon panier.
Étape 2 : La Crouzille (63) / Brioude (63) 157 km – 2113 m
D’emblée je vous rassure, Nous n’avons pas eu à déplorer d’indigestion.
Pour autant, ma nuit a été très perturbée lorsque j’ai appris tardivement les derniers bombardements qui ont touché de nombreuses villes d’Ukraine. Ils montrent l’inquiétante détermination de Poutine et son mépris absolu pour l’humanité. Avec cette actualité tragique, ces histoires de Centrionales me paraissent bien insignifiantes au point que ce soir je me sens mal à l’aise pour dire le plaisir que nous avons pris à rouler alors que le monde est en passe de s’écrouler.
C’est pourquoi aujourd’hui, je vous épargnerai ma prose, en espérant que ces événements se décanteront et que la raison finira par l’emporter.
Étape 3 : Brioude (63) / Le Bleymard (48) 122 km – 2140 m
L’intitulé de cette troisième étape suffit à en donner la teneur : distance très courte et dénivelée maximale.
Pourtant les quarante premiers kilomètres, empruntant la haute vallée de l’Allier noyée dans les brumes matinales, se laissent grignoter sans difficulté ; ça monte doucement et régulièrement. Mais à partir de Chanteuges, où la route quitte la vallée pour nous porter vers le plateau de la Margeride, le profil se durcit. Ça commence par une mise en jambes de 4 ou 5 km sur une belle route présentant des pourcentages déjà exigeants pour nos jarrets. Puis à mi-pente, lorsque la route s’enfonce dans la forêt, le profil se redresse encore jusqu’à atteindre des valeurs de 10% sur de longues rampes. Michel, vaillant (ceux de notre âge comprendront l’allusion …) ne lâche rien. Il s’est juré de ne jamais mettre pied à terre comme il l’avait été contraint sur cette même route lors d’un brevet de 400 km. Parfois tant il peine, il est à la limite de l’équilibre, mais il tient parole. Je le vois arriver sur la dernière rampe particulièrement raide, avec une trajectoire zigzagante qui balaie la route sur toute sa largeur.
À Saugues, pour nous remettre de cet effort nous choisissons de prendre notre pause repas dans un bar-restaurant, où une dizaine de vieilles dames sont réunies autour d’une table. N’apercevant aucun homme dans cette assemblée, un peu curieux et aussi histoire de les taquiner, j’émets à haute voix l’hypothèse d’une « sortie entre filles ». La patronne me glisse discrètement : – « c’est une rencontre de veuves ». Le gaffeur a encore sévi ! J’espère n’avoir blessé personne par cette maladresse.
Lorsque nous remontons en selle, le profil du parcours nous contraint à rouler à une allure très modérée. Notre lenteur nous laisse le temps d’admirer la campagne et les forêts du plateau du Gévaudan, parées des couleurs d’automne, souvent très changeantes sous la lumière modulée au gré des nuages. Si les jambes sollicitées au-delà de nos modestes forces sont souvent mises à l’épreuve, le reste de notre être, sous perfusion d’harmonie se délasse et s’apaise. Le silence, les paysages presque vides de toute trace de présence humaine, le regard langoureux des vaches Aubrac regardant passer le cycliste sont autant de source d’apaisement.
Pour atteindre le Bleymard, terme de notre étape, il nous faut une fois de plus écraser les pédales dans l’ascension du col du Goulet avant de dévaler 6 km de pentes vertigineuses.
Étape 4 – Le Bleymard (48) / Lunel (34) 149 km – 1748 m
Même si je dois heurter les prudes, je vais me lâcher en vous contant aujourd’hui une expérience de jouissance « cyclorgasmique » telle que je l’ai vécue ce matin. Après tout, il n’est jamais trop tard pour connaître ce genre d’extase plutôt que de toujours l’ignorer ; et même si la « chose » n’est pas systématiquement reproductible, il me semble qu’elle mérite d’être évoquée. Le sens que recouvre ce néologisme dont vous ne trouverez pas trace, même dans les ouvrages les plus savants pourra être compris si vous avez la patience de lire le témoignage relatant les sensations ressenties au cours des différents paliers franchis pour accéder à ce nirvana.
Ça commence par un « titillage » nocturne des jarrets et des cuisses sur les pentes raides du col du Finiels. Le temps de chauffe et de mise en condition pour gravir les presque 500 mètres du col, varient selon l’âge, la forme et l’aptitude de l’individu pour ce genre d’exercice. Comme il s’agit d’atteindre ensemble ce sommet et profiter de ces brefs instants pendant lesquels dure l’aurore, nous devons accorder nos violons et doser nos efforts.
Au moment précis où l’aube point, nous arrivons au sommet du col du Finiels.
Là-haut, la route s’installe pour quelques kilomètres sur le plateau en pente douce du mont Lozère, où nous devons encore pédaler un peu. Elle nous permet de découvrir les chaînons de montagne se découpant en plans successifs dans les lointains tandis que le ciel s’habille de rougeoiements changeants. L’instant est magique. Bien qu’il se renouvelle chaque matin depuis que le monde existe, en assistant à ce spectacle si rare à mes yeux, isolé ainsi sur un des points culminants du Massif Central, j’ai le sentiment d’être privilégié
C’est le premier palier de cet épisode qualifié de « cyclorgasmique ».
Comble de bonheur, après avoir déjà découvert avec ravissement ce sixième ciel flamboyant, alors que j’entame la descente, j’ai paradoxalement la sensation d’atteindre un niveau encore plus élevé de l’extase. Au moment où les premiers rayons qui percent les nuages illuminent les crêtes de massifs pierreux émergeant de nappes de brouillard semblables à des lacs, tandis que la route déroule ses virages dans un paysage de rocailles et de landes, me voila transporté cette fois au fameux septième ciel.
Je ne tarde pas à atteindre le huitième dont j’ignorais l’existence jusqu’à ce jour. J’y accède à tombeau ouvert en dévalant les pentes vers le hameau de Finiels. L’explosion finale se produit tandis que je me délecte de toute la palette des couleurs de l’automne habillant les arbres, qui marque le fond de petits vallons. Je sens bientôt couler des larmes sans savoir si elles sont une conséquence de ces sensations intenses ou celui de l’air vif caressant mes joues.
Lorsque je débarque dans le petit café du Pont-de-Montvert, je ne peux réprimer l’envie de partager cet émoi avec la patronne du bar. Comme pour me signifier qu’elle a compris la nature de mon trouble, elle me glisse avec malice : – « Croyez-vous que nous vivons ici par hasard ? ».
Le reste de cette journée si agréablement commencée continue de la même manière, entre montées sévères découvrant des paysages grandioses, bientôt suivies de pentes vertigineuses où je me laisse aller au plaisir de la vitesse. Entre ces montagnes russes ou plutôt cévenoles, nous goûtons parfois à quelques roulades tranquilles au milieu des forêts de châtaigniers tapissant par endroits la route de bogues.
Mais en toute chose, le plaisir ne dure pas. Après avoir dépassé les derniers villages de camisards, à partir d’Anduze et jusqu’à Lunel, nous retrouvons la plaine et la fureur automobile.
Pourtant, cette journée, j’en ai la certitude, comptera parmi mes plus beaux souvenirs de randonnée.
5° étape : Lunel (34) / Les-Saintes-Maries-de-la-Mer (13) / Nîmes (30)
101 km – 260 m
Après avoir contourné l’imposante « Tour Carbonnière», dont la porte monumentale marque l’entrée dans le marécage camarguais, notre ultime étape se poursuit sous un ciel un peu nuageux diffusant une belle lumière matinale qui fait miroiter les étangs. Des silhouettes de flamands, à moins que ce ne soient des hérons, se détachent. Le contre-jour et mon ignorance ornithologique ne me me permettent de les distinguer.
Notre chevauchée matinale nous porte jusqu’au Petit Rhône. Là où nous attendions à trouver un pont, nous avons la surprise de découvrir un bac. Il part sous nos yeux pour la rive opposée au moment même où nous arrivons. Pour patienter nous nous installons à la terrasse d’un restaurant de poissons, une sorte de cabanon de plage encombré d’objets insolites, souvent religieux, glanés dans des brocantes. Après le café offert par le patron du bar, j’en profite pour faire mes dévotions sur un prie-Dieu devant une statue de la vierge, sous l’œil amusé d’une serveuse aux formes sculpturales.
Après une demi-heure d’attente le bac accoste et nous pouvons embarquer.
Seul maître à bord du navire franchissant une brèche d’au moins cinquante mètres, le « Capitaine » qui ne transige pas avec les règles sermonne par haut-parleur une dame qui a pris le « risque insensé » de descendre de sa voiture. Traverser le petit-Rhône est sans doute un voyage à haut risque puisqu’il recommande aux seuls autres passagers, Michel et moi, de nous agripper solidement au bastingage pendant la très délicate phase d’abordage. Par chance ce jour là, l’onde est calme et l’anémomètre atteint à peine le niveau 1 de de l’échelle de Beaufort qui en compte une douzaine supplémentaires. Prudent à l’excès « Maitre Panisse » nous a préalablement demandé de déposer nos vélos ailleurs que devant la « salle des machines », sans doute pour pouvoir intervenir en urgence pour réparer une éventuelle avarie pendant le transport. Parés pour la traversée, nous pouvons larguer les amarres…
Enfin, après 32 mètres d’une périlleuse navigation de l’embarcation heureusement assurée par des câbles tendus entre les deux berges, nous rejoignons sains et saufs l’autre rive. Nul doute qu’avec un capitaine de cette trempe, le Titanic n’aurait pas sombré et le Costa-Concordia ne se serait jamais échoué de manière aussi lamentable.
À peine remis de ces péripéties aquatiques, nous devons encore maitriser un taureau en furie avant d’atteindre les Saintes Maries de la Mer, but de notre voyage. Et, comme rien ne saurait nous arrêter, nous l’avons même poursuivi jusqu’à Nîmes (je ne parle pas du taureau mais du voyage).
La-bas, dans cette ville antique, nous avons été chaleureusement accueillis par ma sœur Nadine et son compagnon.